Si le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a écarté mardi l’idée d’un mouvement d’ampleur, une note des services de renseignement annonce cinq convois en direction de Paris ce week-end.
CORONAVIRUS – Des milliers de manifestants, des centaines de camions bloquant routes et ponts… Le Canada et principalement sa capitale, Ottawa, sont secoués depuis une dizaine de jours par un mouvement initié par des camionneurs partis de Vancouver opposés à la vaccination obligatoire. Ces derniers sont devenus en quelques jours les nouveaux héros des opposants aux mesures sanitaires prises pour limiter la propagation du Covid.
Resté silencieux pendant plusieurs jours, le Premier ministre canadien Justin Trudeau a critiqué ce lundi 7 février le mouvement, tout en estimant que les Canadiens étaient “tous fatigués des restrictions” et “des sacrifices”, ouvrant ainsi la porte à un assouplissement des restrictions sanitaires. Certaines provinces comme l’Alberta n’ont d’ailleurs pas attendu et ont déjà renoncé au pass vaccinal, alors que le Québec a annoncé un calendrier détaillé des allègements à venir.
Un début d’organisation en France?
Depuis peu, le mouvement inspire également au-delà des frontières: en Nouvelle-Zélande, un convoi a bloqué ce mardi les rues autour du Parlement à Wellington. Des premiers (petits) foyers de contestation ont également émergé en Alaska et à New York aux États-Unis, où Donald Trump a proposé au “convoi de la liberté” canadien de “venir à Washington avec les camionneurs américains” pour “protester contre la politique ridicule de Joe Biden sur le Covid”.
Mais cette vague canadienne de protestation peut-elle faire tache d’huile en France, alimentée par plusieurs candidats à l’élection présidentielle, opposés à la vaccination et dénonçant depuis des mois des “entraves liberticides” des pass sanitaire puis vaccinal? “Aujourd’hui, on n’a pas de renseignements démontrant que cela s’organise de manière importante”, a répondu mardi sur BFMTV, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. “Mais nous sommes attentifs et la réponse de l’État sera extrêmement ferme si c’est le cas.”
Reste que l’initiative est suivie de près par les services de police et renseignement. Lundi, une source policière expliquait à l’AFP que “l’initiative était prise au sérieux par les autorités” et que “des dispositifs de vigilance” étaient prévus. Une note des renseignements territoriaux, datée du 7 février et dévoilée ce mercredi par Le Parisien, confirme cette attention particulière même si elle parle d’un mouvement “loin d’être solidement structuré”.
Cinq convois empruntant cinq trajets différents, en provenance des six coins de la France, doivent faire route vers Paris “avec un début de convergence attendu à partir de ce mercredi 9 février”, détaille la note. Un premier convoi est parti de Nice ce mercredi matin. Les convois doivent ensuite atteindre Paris vendredi soir et Bruxelles le lundi 14 février.
Pluralité de profils
Comme lors du mouvement des Gilets jaunes en 2018 et 2019, l’initiative est partie des réseaux sociaux. Groupes Facebook, comptes Twitter et conversations sur la messagerie cryptée Telegram se multiplient depuis plusieurs jours avec un objectif clair: “rouler sur Paris”. Une page Facebook, créée le 26 janvier et baptisée “Convoi de la liberté”, appelle les opposants aux mesures sanitaires à faire “le siège de la capitale”. Elle est désormais suivie par près de 300.000 personnes, à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Sur un autre groupe et face caméra, l’un des organisateurs du convoi français, Rémi Monde, dénonce pêle-mêle “les restrictions, le passe sanitaire, l’augmentation du prix de l’énergie, le coût de la vie et le recul (de l’âge) du départ à la retraite”.
Il assure que toutes initiatives individuelles se réunissent pour créer un mouvement. Son compte est par ailleurs inondé de publications relatives au Covid-19, aux dangers des vaccins et parfois de messages violents à l’encontre du gouvernement, dont le Premier ministre Jean Castex qu’il qualifie de “pauvre type”. L’une des publications qu’il a relayée concernant un convoi de routiers au Brésil a été épinglée pour “fausse information” par Facebook et il a aussi affiché son soutien au documentaire complotiste Hold-up.
De plus en plus d’automobilistes affichent également leur participation au mouvement en publiant des photos de leur véhicule avec une feuille A4 accrochée sur le tableau de bord ou un sticker: “Je soutiens le convoi de la liberté”. Une grande partie des messages sont des demandes de covoiturage afin de participer à ce “convoi”: “départ de la Rochelle”, “de Chamonix”, “de Nice”… La méfiance, voire le rejet, des médias s’exprime également très largement dans les publications et les commentaires.
“Des différends opposent déjà les uns et les autres dans les discussions, qui ne sont pas sans rappeler les tensions internes déjà observées dans le mouvement des Gilets jaunes”, indique la note de service des renseignements territoriaux. “Certains proposent ainsi ‘un blocage complet’ provoquant des ‘ruptures d’approvisionnement en carburants et nourriture’, d’autres des ‘affrontements avec les forces de l’ordre’, quand certains prônent encore un mouvement ‘pacifique afin de ne pas être discrédité’”, est-il précisé.
Un “mouvement apolitique”
“En France, ça fait des années qu’on mène un combat pour retrouver notre démocratie, notre pouvoir d’achat -mais c’est un élément de communication du gouvernement de dire ça, disons, retrouver notre capacité à bien vivre. Il y a un ras-le-bol général. Le leitmotiv est la dictature sanitaire, mais ça va bien au-delà”, explique Rémi Monde, lui-même gilet jaune ou ex-participant à “Nuit Debout” au printemps 2016.
Le mouvement se veut en revanche complètement apolitique, malgré le soutien de certaines personnalités politiques comme Florian Philippot, président des Patriotes qui a tweeté le 30 janvier: “Il semble bien que le château de cartes mondial de la corruption ait commencé de s’écrouler, et ça part du Canada! Trudeau (le Premier ministre, NDLR) se cache! La vague va déferler sur la France!” Le même appel a été posté sur le réseau social par Jean-Frédéric Poisson, ex-député LR désormais soutien d’Éric Zemmour: “Après le Canada, les routiers français et européens se mobilisent. Soutien au #ConvoidelaLiberte! #TousAParis.”
Interrogée sur le sujet ce mercredi sur Europe 1, la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, a elle appelé ces opposants à “voter” en avril prochain, tout en “comprenant les blocages”. “La réalité c’est que la mondialisation sauvage sans régulation, sans limitation posée par le pouvoir politique (…) a fait de nos sociétés des cocottes-minute”.
Le numéro 2 de La France insoumise Adrien Quatennens a “encouragé” “les Insoumis qui souhaitent à y aller”. “Ce convoi des libertés, c’est parfois malheureusement un convoi de l’oppression” a, en revanche, jugé le chef de file des députés LR, Damien Abad.
Les organisateurs du convoi national ont déjà dénoncé cette récupération politique et certains posts visent directement l’ancien vice-président du Front national, qui surfe depuis le début de la crise sanitaire sur le complotisme anti-Covid. Rémi Monde prévient: “Aucun mouvement politique est assimilé de près ou de loin à la meute. Ils vont tous essayer de faire de la com, nous ne sommes pas dupes.”
Les syndicats de routiers n’en sont pas
De là à dire qu’un élan aussi grand qu’au Canada se prépare en France, il y a un énorme pas. Pour l’instant, l’ampleur du mouvement français reste limitée. D’abord, la confusion règne au niveau de l’organisation de la manifestation. Dans un live le 6 février, Rémi Monde a reconnu une certaine cacophonie au niveau des dates de la manifestation.
De plus, contrairement à l’origine du mouvement canadien, les routiers français ne sont que peu ou pas concernés et les syndicats ont indiqué qu’ils ne participeront pas au convoi. Les camionneurs n’ont d’ailleurs pas d’obligation vaccinale, à l’inverse de leurs homologues outre-Atlantique. “Ils seront présents mais ça ne sera pas la majorité”, reconnaît Rémi Monde dans l’une de ses vidéos, qui appelle les automobilistes, les cyclistes et même les adeptes de la trottinette à se joindre à lui.
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